« ... de tous les groupements nationaux qui se distinguent dans l’effort martial du Canada, il n’en est asssurément de plus admirable que le groupement acadien. En un moment où les individus prétendent mesurer leur contribution à la lutte pour la civilisation en raison inverse de leurs griefs nationaux, l’action des Acadiens est réconfortante. Les Acadiens ont répondu à l’appel de la patrie, promptement, pleinement et sans arrière-pensée. »

1 - J. B. Côté, Supplément de la Victoire, L’Évangéline, le 10 mai 1945.

Plus de soixante ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la participation des Acadiens des Provinces Maritimes demeure dans l’ombre. Ils étaient pourtant plus de 22,000 jeunes hommes d’origine acadienne ou française de la région à quitter parents, frères et soeurs, épouses et enfants, fiancées et amis pour se porter au service du Canada en temps de grand besoin national. La très grande majorité d’entre eux l’ont fait volontairement, sans la contrainte de la conscription. Ils étaient tous dans la fleur de l’âge.

Contrairement à leurs concitoyens d’origine anglo-saxone, ils ont peu d’attachement à la France qui a abandonné leurs ancêtres à leur sort ou à l’Angleterre qui a déportés ceux-ci au milieu du 18e siècle.

Les Acadiens ont servi dans l’armée, dans l’aviation, dans la marine et dans la marine marchande. Ils ont combattu dans tous les théâtres de guerre où le Canada était présent : à Hong-Kong, en Italie, en France, en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne, dans l’océan Atlantique et dans les cieux au-dessus de l’Europe. Ils ont servi dans tous les régiments d’infanterie de l’armée canadienne, mais dans les historiques des unités on ne souligne jamais que tel ou tel soldat dont on fait état d’un acte de bravoure était un Acadien. Les exemples abondent dans ces récits.

Près de 750 jeunes Acadiens sont morts pendant leur service, la plupart d’entre eux victimes des combats contre l’ennemi. Ils reposent loin de leur terre natale, dans des cimetières à Hong-Kong, au Japon, en Grande-Bretagne, en Italie, en France, en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne et ailleurs.

Les jeunes Acadiens qui se sont portés volontaires ont eu à confronter un système militaire qui leur était souvent hostile. La plupart des volontaires du Nouveau-Brunswick étaient unilingues français et ont dû apprendre l’anglais pour intégrer les rangs des régiments de leur province (notamment le North Shore, le Carleton and York et les New Brunswick Rangers). Seuls ceux qui ont servi dans des unités de langue française du Québec ont pu suivre leur entraînement en français.

Les plus instruits ont favorisé l’Aviation royale du Canada qui, au début de la guerre, estimait que les francophones n’avaient pas les compétences techniques pour rejoindre ses rangs. Et, dans la marine, le climat était hostile aux francophones. Il était généralement interdit de parler français sur les bases navales.

A plusieurs reprises au cours de la guerre, des groupes acadiens ont réclamé que le 165e Bataillon, le Bataillon acadien, qui avait été levée pendant la Première Guerre mondiale soit reconstitué. Les Acadiens auraient une unité avec laquelle ils pourraient s’identifier, mais l’état-major de l’armée et le gouvernement canadien ont fait sourde oreille à cette demande. Si ces milliers de jeunes francophones du Nouveau- Brunswick veulent servir leur pays dans des unités locales, ils devront joindre les unités de langue anglaise.

Lorsqu’ils se sont portés volontaires, on leur a fait toutes sortes de promesses. On leur a assuré qu’au retour de la guerre, ils auraient les meilleurs emplois. C’est une promesse que le Canada n’a pas tenu. La plupart de ceux qui n’avaient pas de travail avant de s’enrôler n’en avaient pas plus après leur retour. Des centaines se sont exilés au Québec, en Ontario ou aux États-Unis.

Plusieurs centaines de soldats acadiens ont été blessés au combat. Certains avaient encore besoin de soins lorsqu’ils sont rentrés au Canada. Après avoir confronté l’ennemi sur le champ de bataille, certains ont à affronter les insultes du personnel médical dans les hôpitaux militaires. Par exemple, à l’hôpital de Lancaster, près de St-Jean, au Nouveau-Brunswick, on leur interdisait de parler français entre eux. Les témoignages en ce sens sont nombreux.

A leur retour dans leurs communautés, on a ignoré la plupart d’entre eux. On les a accusé d’avoir passé leur temps à boire de la bière et à courir les jupons en Angleterre. Ceux qui n’avaient pas véçu les combats ne pouvaient pas imaginer les traumatismes causés par le carnage des champs de bataille. La plupart de ceux qui les avaient vécus ont simplement cessé d’en parler.

Ils ont aussi dû faire face au dédain d’une partie de leurs concitoyens anglophones qui les accusait de ne pas avoir fait leur devoir en temps de guerre. Même si près de la moitié des jeunes Acadiens d’âge militaire se sont enrôlés, c’est une accusation mensongère qui a survécue jusqu’à la fin des années 1980.

A la fin de la guerre, un jeune officier acadien posté outre-mer, Alexandre-J. Savoie, écrivait ce qui suit dans le journal L’Évangéline : « Les nôtres n’ont pas eu peur de combattre pour la sainte cause de la démocratie; ils n’ont pas craint de sacrifier leur vie, de quitter épouses et enfants, pères et mères, fiancées et fiancés, etc., pour la cause de l’humanité : la liberté dans le monde. Nous ne demandons pas une récompense à nos efforts, nous nous réjouissons d’avoir contribué à la victoire finale. Ce que nous ne voulons pas, c’est d’avoir à faire une guerre contre notre gouvernement pour nos propres droits. »2 (le 24 mai 1945)

Ce n’est qu’un quart de siècle plus tard qu’ils commencent à obtenir les mêmes droits que leurs concitoyens anglophones... écoles francophones, procès dans leur langue, etc.

Aujourd’hui, aucun monument ne marque le sacrifice de toute une génération de jeunes Acadiens pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans plusieurs milieux dit bilingues, les cérémonies commémoratives du 11 novembre se déroulent en anglais la plupart du temps même si on retrouve bon nombre d’Acadiens dans les rangs des anciens combattants qui y assistent.

Même de nos jours, les Acadiens demeurent les grands oubliés de la Seconde Guerre mondiale.

Ronald Cormier le 21 mai 2009

1- Ronald Cormier, Les Acadiens et la Seconde Guerre mondiale, Les Éditions d’Acadie, 1996, p. 103
2- Ibid, p. 110.